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Caméras de surveillance : que dit la loi ?
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Périodiquement, revient la suggestion d’augmenter le nombre de caméras de surveillance dans les lieux publics. Récemment, le maire de Montréal lançait la discussion sur l’opportunité de multiplier les caméras de surveillance dans certains secteurs de la ville.
Pierre Trudel - 17 février 2014
Périodiquement, revient la suggestion d’augmenter le nombre de caméras de surveillance dans les lieux publics. Récemment, le maire de Montréal lançait la discussion sur l’opportunité de multiplier les caméras de surveillance dans certains secteurs de la ville.
L’efficacité de la vidéosurveillance est une question controversée. Certains pensent qu’elle prévient les comportements illicites tandis que d’autres considèrent que le principal effet des caméras est de pousser la criminalité dans des lieux ou il n’y a pas encore de vidéosurveillance. D’autres font valoir que les images issues de ces systèmes peuvent aider à élucider des crimes.
Il est en effet nécessaire de s’assurer que l’installation de tels outils donne des résultats utiles car la captation d’images est a priori considérée comme pouvant porter atteinte à la vie privée et ce, même si elle est effectuée dans un lieu public.
La captation d’images de personnes dans un lieu accessible au public ou dans lequel travaillent des salariés met en cause le droit au respect de la vie privée des personnes qui circulent dans ces espaces. Le droit à la vie privée est protégé notamment par les articles 5 et 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne. Ces articles se lisent comme suit :
5 . Toute personne a droit au respect de sa vie privée.
9.1 . Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec.
La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l’exercice.
Quant au Code civil du Québec, il dispose notamment que :
3 . Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. Ces droits sont incessibles.
35 . Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
36 . Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :
1o (…)
2o (…)
3o Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés ;
4o Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit ;
5o Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public ; [...]
De ces dispositions, il découle que le droit de capter des images et autres informations dans un lieu public (comme un centre commercial) ou dans un milieu de travail est un droit balisé par les impératifs de la protection de la vie privée des personnes.
Car capter des images vidéo des personnes qui se trouvent dans un endroit public équivaut à une collecte de renseignements personnels et ce dès lors que les individus sont identifiables.
Il est licite de capter de telles informations mais uniquement dans la mesure où une telle collecte est proportionnée aux motifs pour lesquels elle est effectuée.
C’est pourquoi les organismes chargés d’assurer le respect des droits à la protection des données personnelles demandent que la démonstration soit faite de la nécessité d’installer des caméras de surveillance.
De plus, il est nécessaire de prévenir les personnes qui se trouvent sur les lieux surveillés de l’existence de la surveillance.
La conservation des images et autres informations captées est aussi encadrée par la Loi.
Les articles 4 et 5 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé disposent que :
4. Toute personne qui exploite une entreprise et qui, en raison d’un intérêt sérieux et légitime, peut constituer un dossier sur autrui doit, lorsqu’elle constitue le dossier, inscrire son objet. Cette inscription fait partie du dossier.
5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d’y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites.
Par conséquent, il faut prévenir les personnes qui circulent dans ses locaux qu’un système de vidéosurveillance est en usage et que les informations obtenues de ce système peuvent être conservées ou partagées avec d’autres.
Appliquant les dispositions des lois mentionnées plus haut, les tribunaux ont reconnu qu’il est permis d’effectuer des activités de surveillance. Mais la surveillance est permise uniquement dans la mesure elle est raisonnable et répond à des motifs légitimes.
En 1999, dans la décision Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, la Cour d’appel du Québec a confirmé qu’il doit exister un lien entre la mesure de surveillance et l’atteinte des résultats ou objectifs de l’organisation.
La Cour d’appel a confirmé que l’organisme qui fait de la vidéosurveillance doit avoir des motifs sérieux. Ces motifs doivent exister avant d’entreprendre la démarche et non être justifiée après-coup, lorsqu’on a trouvé quelque chose. De plus la surveillance doit être faite par des moyens raisonnables. La Cour d’appel a expliqué à cet égard que :
» (…)bien qu’elle comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l’extérieur de l’établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte québécoise. Ainsi, il faut d’abord que l’on retrouve un lien entre la mesure de surveillance et les exigences du bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement en cause. Il ne saurait s’agir d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L’entreprise doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié ou une autre personne à une surveillance. Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige. »
Donc, avant de recourir à la vidéosurveillance, il faut avoir des motifs sérieux.
Quant au choix des moyens, il faut que la mesure de surveillance apparaisse comme nécessaire pour la vérification du comportement des personnes surveillées et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible.
Lorsque ces conditions sont réunies, il est possible de recourir à des procédés de surveillance, qui doivent être aussi limités que possible.
La surveillance doit être faite de manière proportionnée par rapport aux enjeux et éviter des mesures qui porteraient atteinte à la dignité des personnes.
Pour cette raison, il n’est généralement pas possible de diffuser les informations captées par les systèmes de surveillance a moins que cela soit justifié pour des motifs d’intérêt public.
Voir : Commission d’accès à l’information, Les règles d’utilisation de la vidéosurveillance avec enregistrement dans les lieux publics par les organismes publics, juin 2004.